Rapport de la Septième Séance du Programme de Dynamisation de l’Économie Haïtienne

Rapport de la Septième Séance du Programme de Dynamisation de l’Économie Haïtienne

I. Introduction :

Le Jeudi 26 octobre 2018, l’Initiative de la Société Civile a organisé une conférence-débat autour de la thématique: « Comment faire d’Haïti un pays industrialisé ». Cette septième séance s’inscrit dans le cadre de l’exécution du Programme de Réflexion-Action pour la Dynamisation de l’Économie Haïtienne lancé le 3 mai 2018. La conférence-débat s’est déroulée au local de l’ISC aux environs de 4:00 pm. Les conférenciers choisis furent au nombre de trois; Georges Sassine, Martine Laroche Cuvilly et Clifford Apaid.

Avant le déroulement de la conférence-débat, Rosny Desroches, en peu de mots, a fait une mise en contexte du sujet du jour. D’emblée, Il a déploré le fait qu’Haïti soit toujours catégorisé parmi les pays moins avancés. Il a toutefois précisé qu’il est certain que la volonté et l’espoir de voir Haïti changer sont des ressentis unanimes dans le pays. Le directeur exécutif de l’ISC a par la suite partagé des statistiques liées à la répartition du PIB par secteurs d’activités dans le pays. Monsieur Desroches affirme que: « si nous souhaitons véritablement que le pays soit industrialisé il faut que la part de l’industrie dans l’économie haïtienne soit plus élevée.» Le secteur secondaire qui représente actuellement que 21% du PIB total d’Haïti, est vraiment trop faible remarqua le directeur de l’ISC. Monsieur Desroches a souhaité que l’assistance et les téléspectateurs profitent des exposés des conférenciers du jour pour mieux comprendre les problématiques liées à l’industrie haïtienne et les projections futures.

II. La Conférence-Débat :

Le premier orateur fut Georges Sassine. Il a fait des études universitaires en administration des affaires aux États-Unis. Il a entamé son parcours professionnel dans le secteur bancaire à New York, ensuite il a décidé de retourner vivre en Haïti. C’est un professionnel de renom dans l’industrie haïtienne ayant une expérience de travail pertinente ; soit en travaillant dans des industries telles que Gamex, ou en se lançant dans le capital-risque en investissant avec des membres de sa famille. Il est l’actuel président de l’Association des Industries d’Haïti après deux mandats successifs achevés sans contestes. Monsieur Sassine a joué un rôle prépondérant dans le lobbying pour l’approbation de la loi HOPE aux États-Unis ; cette loi accordant un traitement privilégié à quelques produits exportés d’Haïti vers les États-Unis, avec des tarifs douaniers inexistants ou insignifiants.

Monsieur Sassine a débuté son exposé en abordant l’industrie des vêtements en Haïti. Il a souligné qu’il y a deux matières première utilisés pour la production de vêtements: le coton et le polyester. Le conférencier a précisé que plusieurs grandes villes et divers pays du monde ont utilisés l’industrie textile comme principal moyen de s’industrialiser. Pour illustrer ce point il a pris l’exemple de la prédominance de cette industrie à New York dans les années 1920, ainsi que comment elle s’est vite répandu non seulement sur le territoire américain, mais dans plusieurs pays à travers le monde, notamment dans des pays asiatique. L’orateur a fait remarquer que bien qu’Haïti fut le premier pays de la caraïbe à établir l’industrie textile sur son territoire pour booster son exportation, ce secteur a connu des hauts et des bas. Georges Sassine précisa que l’industrie textile a été chaotique par moment, notamment lors de l’embargo ou cours des années 1990. Le secteur qui embauche environ 52,000 haïtiens de nos jours est tout de même encore sous-exploité ; Georges Sassine précisa que l’objectif fixé est d’avoir approximativement 300,000 ouvriers dans quelques années.

Le paneliste a proposé quatre pistes de solution pour que le pays devienne industrialisé. Premièrement il pense qu’il faut renforcer l’éducation en Haïti. Deuxièmement il nous faut un meilleur système de santé. Troisièmement il faut que la stabilité politique règne dans le pays. Et finalement, il faut améliorer le rendement énergétique en Haïti. Georges Sassine affirme que le cout de l’énergie est de 36 centimes le Kilowatt en Haïti, nettement supérieur aux couts en République Dominicaine ou encore dans certains pays de l’Amérique Centrale tels que le Nicaragua ou le Honduras. Néanmoins, le conférencier pense que nous pouvons changer la donne, mais que les conditions doivent être réunies pour faciliter les investissements dans le domaine énergétique. Pour terminer sa présentation, monsieur Sassine insista sur l’importance de l’éducation. Il affirma que: « la clé de voûte qui mène à l’industrialisation est l’éducation.» Il utilisa plusieurs exemple pour illustrer ce point parmi lesquels; l’Allemagne qui est actuellement la première puissance économique en Europe est le pays ayant la meilleure formation professionnelle ou encore le Japon qui est l’un des pays les plus développés au monde en dépit du fait qu’il n’y a pas de matières premières sur son territoire. Il est donc important de faire primer l’éducation en Haïti selon le conférencier qui aura certainement des incidences positives non seulement sur l’économie en général mais particulièrement sur le secteur textile.

La deuxième conférencière fut Martine Laroche Cuvilly. Détentrice de deux licences (une en économie et l’autre en finance) obtenues à University of Maryland et d’une maitrise en marketing à University of Indiana ; madame Cuvilly est retournée vivre en Haïti après ses études. Après avoir occupé le poste d’officier de crédit commercial et industriel dans une banque commerciale, elle a intégré le groupe Coles et a été la pionnière de la production « bouillon cubes » en Haïti. Martine Cuvilly est la directrice générale de Sunfood S.A produisant et commercialisant les « bouillons cubes » en Haïti. Elle est l’actuelle vice-présidente de l’Association des Industries d’Haïti.

Martine Cuvilly a commencé son intervention en permettant à l’assistance de visualiser un tableau comparatif montrant la répartition en pourcentage du PIB des trois grands secteurs d’activités économique de quelques pays: « (États-Unis, Cuba, Haïti etc…) » Elle montra que malgré le fait qu’Haïti ait une répartition similaire à celle d’un profil type d’un pays développé, nous avons véritablement « sauté une étape qui est l’industrialisation.» Elle a déploré le fait qu’en Haïti plusieurs acteurs économiques se comportent comme des simples commerçants, avec une pratique systématique d’achats et de reventes qui est manifestement au détriment non seulement de la production nationale mais aussi de la stabilité économique du pays. L’oratrice a aussi souligné qu’il est grand temps qu’Haïti divorce d’avec cette agriculture de subsistance et se focalise davantage non seulement à multiplier sa production mais aussi à renforcer l’agro-transformation. Pour renforcer ce dernier point de vue elle a pris l’exemple du Mexique ou le secteur secondaire est prédominant, soit 64% ce qui joue en leur faveur. Martine Cuvilly a par la suite mentionné les diverses difficultés auxquelles l’industrie haïtienne fait face. Avec une liste non-exhaustive de 10 difficultés, la conférencière a montré que les obstacles sont en effet considérables pour l’industrie haïtienne. Parmi les difficultés listées, Martine Cuvilly a fait mention des problèmes liés au transport et aux infrastructures. « L’ouvrier haïtien est souvent démotivé et frustré dès le début de sa journée, à cause de l’immense effort consenti seulement pour se rendre au travail », affirma la conférencière. Elle a aussi fait mention des problèmes au niveau de la frontière ou le contrôle est presqu’inexistant. « La République Dominicaine achète souvent des produits bruts en Haïti, pour les transformer en produits finis ; ayant ainsi une plus forte rentabilité sur leur investissement à cause des valeurs ajoutées. », affirma Martine Cuvilly. Elle a aussi fait mention de notre inhabilité de faire face aux produits en provenance des pays industrialisés. Selon la conférencière, l’automatisation de la production industrielle dans les pays développés constitue une menace apte à freiner la production nationale. Outre ces difficultés, Martine Cuvilly a loué les efforts consentis au niveau de la banque centrale à travers des mesures incitatives favorisant les investissements à long-termes pour divers secteurs en Haïti. L’immobilier, l’hôtellerie, les zones franches industrielles etc…, font tous partis des secteurs touchés par le programme d’incitation de la BRH. La conférencière a conclu en présentant une série de suggestions pour renforcer l’industrie dans le pays. Il faut: « transformer la production agricole en produits industriels transformes.», déclara l’oratrice. Elle a voulu insister sur ce point préalablement mentionné pour mettre l’emphase sur le fait que c’est un moyen efficace pour renforcer la rentabilité. La conférencière a aussi suggéré: « l’intégration de technologies avancées » en vue de maximiser la production et de l’améliorer. Martine Cuvilly a terminé sa présentation sur un ton optimiste en disant: « let’s tell a better story. » Elle pense qu’en Haïti nous avons un déficit si prononcé au niveau de la promotion de nos produits, qu’il pourrait être assimilable à une sorte de dévalorisation de notre production. Un effort significatif doit résulter de ce constat, pour faire savoir non seulement l’existence de nos produits mais aussi leur importance et leur qualité.

Le troisième orateur fut, Clifford Apaid. Il a obtenu une double licence (une en systèmes d’information et l’autre en finance) à Florida International University. Il détient aussi une maitrise en finances internationales. Monsieur Apaid est retourné en Haïti après ses études et a intégré le groupe Apaid qui opère dans l’industrie textile et vestimentaire depuis plusieurs années.

Clifford Apaid a focalisé sa présentation sur le secteur de l’assemblage et du textile. Il a tout d’abord fait une brève historique de l’industrie textile et vestimentaire dans le monde. En quelques décennies, le secteur est passé d’une zone géographique à d’autres. Selon le conférencier, avec des prix de ventes quasiment stagnants pendant plusieurs décennies, ce secteur est souvent abandonné après un certain laps de temps pour être implanté ailleurs. Il montra effectivement qu’au cours des 60 dernières années, le textile est passé des états du nord des États-Unis, pour ensuite migrer dans quelques états du sud, tels que: la Caroline du Nord, la Caroline du Sud etc… ensuite pour s’éparpiller à travers le monde, notamment dans quelques pays africains, et quelques pays asiatiques. Sur le continent Américain, ce secteur a un poids important sur l’économie haïtienne et nicaraguayenne, déclara l’orateur. Monsieur Apaid pense que c’est un secteur à ne pas sous-estimer ; pour supporter cette affirmation il a pris l’exemple de la Chine dont on banalisait sa production au début, mais qui aujourd’hui devance tous les pays en matière de production de biens.

Le conférencier a par la suite abordé le sujet du salaire minimum. Avec un schéma comparatif, il a montré que pour l’industrie textile et vestimentaire, le salaire a un poids beaucoup plus significatif comparativement à d’autres secteurs. Le conférencier affirma que: « 42% de la valeur des ventes sont dépensés dans la main d’œuvre pour les usines de couture, comparativement à 2% pour les commerçants.» Il a pris l’exemple des dépôts qui fort souvent ont des employés saisonniers qui ont un salaire dérisoire et ne paient pas la DGI, l’ONA, l’OFATMA etc., ils ont un mode de fonctionnement assimilable au secteur informel tandis que pour le secteur textile, le mode de fonctionnement est complètement formel. Clifford Apaid pense qu’il est important de savoir que la compétition est rude dans ce secteur. Il y a des milliers d’usines à travers le monde qui opèrent dans le domaine, donc Haïti fait face à des compétiteurs redoutables. L’orateur a élaboré davantage sur le sujet épineux du salaire minimum. Il a permis à l’assistance de visualiser trois tableaux montrant l’évolution de trois composantes à prendre en compte pour bien cerner la problématique: (l’évolution du salaire minimum, l’évolution de l’indice des prix à la consommation, et l’évolution du taux de change). De 2007 à 2018, le salaire minimum a cru d’environ 500%, nettement supérieur à la croissance de l’inflation (150.2%), et à celle du taux de change (92.5%). Le rythme d’augmentation du salaire minimum est donc beaucoup plus accéléré que celui de l’inflation et du taux de change. Clifford Apaid a aussi montré un tableau comparatif ou l’on voit clairement que le salaire minimum en Haïti est plus élevé par rapport à d’autres pays compétiteurs dans le domaine. Au Bangladesh par exemple, le salaire minimum est plus de 2 fois inférieur à celui d’Haïti. Le conférencier a aussi partagé quelques statistiques comparatives importantes concernant l’emploi. En Haïti seulement 1% de la population active travaille dans le secteur comparativement au Cambodge qui atteint les 9%. Selon Clifford Apaid, malgré les moments sombres de son histoire: (génocide des Kmher Rouge), le Cambodge a pu surmonter ces épreuves et l’industrie textile a un eu un poids important dans la relance de son économie. Il a aussi pris l’exemple de l’Éthiopie qui vise à avoir 350,000 emplois en 5 ans, tandis que l’objectif d’Haïti, dont la réalisation est douteuse, est d’atteindre 300,000 emplois dans 8 ans. Pour conclure Clifford Apaid a projeté un graph montrant comment la République Dominicaine a fait bon usage de sa politique pour non seulement maintenir la croissance stable du nombre de touristes qui séjournent sur son territoire, mais aussi a su trouver des solutions adéquates pour rebooster l’emploi dans la sous-traitance alors qu’a un certain moment, le salaire minimum avait atteint un point trop élevé sous la présidence d’Hipolito Meija. Clifford Apaid a conclu en partageant certaines statistiques liées au secteur en Haïti. Selon le conférencier le secteur embauche 52,000 haïtiens, et l’ensemble des ouvriers ont un salaire cumulatif de 900 millions de gourdes par mois. Les entreprises sont souvent sous l’inspection d’institutions internationales qui effectuent un contrôle de gestion sanitaire et social rigoureux aux seins des entreprises.

L’assistance a eu l’opportunité d’adresser quelques questions aux conférenciers. Un intervenant demanda pourquoi l’emballage et l’embouteillement de produits sont si diversifiés, il a pris l’exemple de l’eau: (sachet, bouteille en plastique etc…) Madame Cuvilly signala qu’il n’y a absolument pas de problèmes de diversifier le packaging. Pour supporter son point de vu, elle a parlé du concept de différentiation en marketing ; donc le consommateur est ultimement celui qui décidera quel produit consommer. Un intervenant demanda comment valoriser davantage, la production nationale? Monsieur Sassine répondit à cette question en pointant du doigt un produit de l’art métallique haïtien qui se trouvait dans la salle.

Selon monsieur Sassine, nous ne donnons pas à nos produits l’importance qu’ils méritent. Sylvie Bajeux, la directrice exécutive du Centre Œcuménique des Droits de Humains n’a pas hésité de partager son indignation. Selon elle, l’art métallique haïtien est si apprécié que plusieurs commerçants en provenance de pays voisins achètent ces produits en grande pour les revendre sur leur territoire prétendant que ce sont des produits fabriqués chez eux. C’est déplorable que cet art soit si délaissé en Haïti, affirme madame Bajeux.

Un intervenant partagea son inquiétude quant aux grandes avancés de l’automatisation robotique dans les pays développés. Monsieur Apaid rassura que bien que les avancés soit considérables cela ne devrait pas être source de grandes préoccupations. Il affirma que pour les sous-vêtements, les pays développés parviennent à automatiser la production, mais pour les autres productions il n’y a pas véritablement de robotisation complètement autonome. D’autres questions intéressantes autour de l’industrie textile haïtienne furent adressées aux conférenciers ; questions auxquelles ils ont répondus pour montrer que ce secteur est prometteur mais qu’il y a d’énorme défis à relever dans le pays.

III. Conclusion La conférence-débat sur l’industrie haïtienne, a reçu un feedback satisfaisant. Monsieur Desroches a salué l’effort consenti par les orateurs pour participer à cette séance. Le Programme de Réflexion-Action pour la Dynamisation de l’Économie Haïtienne poursuit son cours. La prochaine conférence-débat aura lieu le jeudi 22 novembre 2018 et sera animé par Monique Rocourt. Madame Rocourt fera sa présentation sur les patrimoines matériels et immatériels d’Haïti, notamment les sites historiques.

Rapport Préparé par Grégory Paultre, Licencié en Économie et en Commerce International

Rapport Préparé par Grégory Paultre, Licencié en Économie et en Commerce International

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